Entre héritage colonial et réformes aveugles : le fiasco des retraites à Djibouti

Publié le 19 mai 2025 à 11:16

Publié : 19/05/2025


Entre
héritage colonial et réformes aveugles : le fiasco des retraites à Djibouti

La récente réforme du système de retraite à Djibouti suscite une vive inquiétude au sein de la population, non seulement en raison de son contenu, mais surtout à cause de la manière dont elle a été adoptée. En effet, cette loi a été votée sans aucune consultation préalable des principales parties prenantes, notamment les syndicats, les travailleurs et la société civile. Une telle décision, prise de façon unilatérale, renforce le sentiment d’exclusion ressenti par une grande partie des citoyens qui, à juste titre, estiment avoir été écartés d’un débat qui les concerne pourtant directement. Normalement, une réforme d’une telle ampleur aurait dû faire l’objet d’un dialogue national, car elle touche à un droit fondamental : celui de pouvoir se reposer après une vie de travail. Malheureusement, cette démarche participative a été ignorée, au profit d’un processus opaque et précipité.

Pour bien comprendre les tensions actuelles, il faut revenir sur l’histoire du système de retraite à Djibouti. Au lendemain de l’indépendance en 1977, le pays n’est pas parti de zéro : il a hérité des institutions coloniales françaises, notamment en matière de sécurité sociale. Les premières bases du régime de retraite étaient déjà posées pour les fonctionnaires français ou assimilés sous l'administration coloniale, mais ne concernaient qu'une minorité de la population locale. Après l’indépendance, Djibouti a mis en place ses propres structures nationales, comme la Caisse Nationale de Sécurité Sociale (CNSS) pour les travailleurs du privé, et la Caisse Nationale des Retraites (CNR) pour les agents de la fonction publique. Toutefois, ces institutions ont été calquées sur le modèle juridique français, sans réelle adaptation aux réalités sociales, économiques et démographiques du pays.

C’est précisément cette dépendance à un modèle hérité de la colonisation qui pose aujourd’hui problème. Alors que la France a elle-même procédé à de nombreuses réformes de ses régimes de retraite au fil des décennies, Djibouti conserve encore des textes et des structures largement inchangés depuis les années post-indépendance. Pourquoi maintenir des lois importées alors même que leur pays d’origine les a modernisées ? Pourquoi ce manque d’initiative à adapter nos systèmes à nos réalités locales ? Ce conservatisme juridique soulève de sérieuses questions sur la volonté politique de construire un cadre légal qui reflète réellement les besoins et les priorités de la société djiboutienne.

Revenons à la réforme récente. Même si le principe des 25 années de service n’a pas été formellement supprimé, il a été vidé de son sens par l’ajout d’une condition supplémentaire : celle d’atteindre l’âge de 62 ans pour pouvoir faire valoir ses droits à la retraite. Autrement dit, avoir accompli 25 ans de service ne suffit plus. Ce qui constituait auparavant un critère suffisant devient désormais insuffisant à lui seul, ce qui rend la réforme particulièrement injuste pour les travailleurs ayant commencé leur carrière très tôt. En effet, un individu ayant travaillé sans interruption pendant 25 ou même 30 ans ne pourra pas partir à la retraite s’il n’a pas encore atteint l’âge requis. Cela pose problème, car dans de nombreux secteurs — comme le bâtiment, l’entretien, les transports ou même l’enseignement dans certaines zones reculées — les conditions de travail sont pénibles. Attendre jusqu’à 62 ans dans de telles circonstances peut représenter une souffrance physique et morale considérable.

D’autant plus que Djibouti, contrairement à la France, ne fait pas face à une population vieillissante. Le pays est jeune, avec une majorité de la population ayant moins de 30 ans. Il n’y avait donc aucune nécessité démographique d’imposer une réforme aussi restrictive. Pourtant, on observe un mimétisme presque automatique des choix politiques français, sans que les décideurs n’analysent leurs conséquences dans notre contexte local. En calquant nos politiques sociales sur celles de pays dont les problématiques sont totalement différentes des nôtres, nous aggravons nos propres déséquilibres. Cette réforme est un exemple criant de cette déconnexion.

Je pense que les autorités ont non seulement relevé l’âge de départ à la retraite, mais aussi maintenu les 25 années de cotisation comme condition indispensable. Ce double critère cumulé rend l’accès à la retraite encore plus difficile. En pratique, il faut désormais avoir au moins 60 ans et 25 ans de cotisations pour espérer une pension. Mais même dans ce cas, la pension est minorée : une décote est appliquée si l’on part avant l’âge de 62 ans, ce qui signifie que l’on peut partir à la retraite… mais avec une pension réduite, parfois insuffisante pour vivre dignement. Ce système pénalise surtout ceux qui ont commencé à travailler jeunes et qui ont cotisé sans interruption, mais n’ont pas encore atteint l’âge fixé. Ils doivent choisir entre continuer à travailler dans des conditions pénibles ou accepter une retraite incomplète. En cela, la réforme fait de Djibouti l’un des pays les plus défavorables en matière d’accès équitable à la retraite.

Enfin, il est essentiel de souligner que cette réforme, en plus de son injustice structurelle, crée un climat de méfiance vis-à-vis des institutions. Lorsqu’une décision aussi sensible est prise sans débat public ni participation populaire, elle perd toute légitimité aux yeux de ceux qui la subissent. Cela peut engendrer des frustrations profondes, voire des mouvements sociaux, car les citoyens ont besoin de se sentir écoutés et respectés. La retraite n’est pas un privilège, c’est un droit. Et ce droit doit être protégé, adapté aux réalités du pays, et défini de manière concertée avec ceux qu’il concerne. En imposant un cadre rigide et injuste, sans prise en compte de la diversité des situations professionnelles, la réforme actuelle risque de fragiliser davantage une société djiboutienne déjà confrontée à de nombreux défis.

 

@DNL_CNSS


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