Djibouti : la rente militaire, entre souveraineté stratégique et inégalités persistantes

Publié le 30 avril 2025 à 16:37

DNL — Dossier News Libre Édition du 30 avril 2025 — Rubrique Géopolitique 

Djibouti : la rente militaire, entre souveraineté stratégique et inégalités persistantes Par la rédaction de DNL 

 

À l’entrée de la mer Rouge, au croisement des routes maritimes les plus fréquentées du globe, Djibouti s’impose comme un nœud géostratégique majeur. Sa position lui vaut d’accueillir, sur un territoire de moins de 23 000 km², les bases militaires de plusieurs puissances mondiales : les États-Unis, la France, la Chine, le Japon, l’Italie, et bientôt l’Arabie saoudite. En échange de ces implantations, l’État djiboutien perçoit chaque année des loyers considérables, estimés à près de 250 millions de dollars, selon les données compilées à ce jour.

Un flux financier régulier, stratégique pour un pays sans ressources naturelles majeures. Mais derrière cette manne sécuritaire, une question fondamentale se pose : qui profite réellement de cette rente militaire ? 

Une rente stratégique structurante Le modèle économique djiboutien repose en grande partie sur la monétisation de son territoire à des fins logistiques et militaires. Le Camp Lemonnier, base américaine, rapporterait à lui seul 63 millions de dollars par an. La base française génèrerait 30 millions d’euros (environ 32 millions de dollars selon le taux de change actuel). La base chinoise à Doraleh est estimée à 20 millions de dollars, tandis que le Japon, avec une présence plus discrète à Ambouli, ne verserait que 3 millions de dollars. L’Italie complète ce dispositif avec une contribution de 5 millions de dollars. À cela s’ajoute le projet saoudien, signé en 2017 mais encore en développement, qui prévoit un engagement de 125 millions de dollars annuels, faisant potentiellement de Riyad le plus grand contributeur. Ces revenus sont mis en avant par le gouvernement comme une source d’investissement dans les infrastructures, notamment portuaires et aéroportuaires, ou encore dans les zones franches destinées à attirer le commerce régional. 

 

Une redistribution opaque Malgré ces flux financiers impressionnants, les retombées concrètes pour la population djiboutienne restent difficiles à percevoir. Le taux de pauvreté dépasse encore les 60 %, tandis que le chômage massif touche notamment la jeunesse urbaine. Dans les quartiers périphériques de Djibouti-ville, les infrastructures sociales peinent à suivre. La gestion centralisée et opaque de ces revenus alimente les critiques d’une gouvernance patrimoniale, dans laquelle une élite proche du pouvoir capterait l’essentiel des bénéfices. Les institutions de contrôle et de transparence budgétaire restent faibles, nourrissant une défiance croissante. Un équilibre diplomatique sous haute tension La cohabitation de puissances aux intérêts divergents, voire conflictuels — notamment les États-Unis et la Chine — impose à Djibouti une posture diplomatique de funambule. Cette neutralité revendiquée est à la fois un atout et un risque. Un incident géopolitique entre ces acteurs majeurs pourrait entraîner des conséquences directes sur le sol djiboutien. Dans ce contexte, le pays s’efforce de maintenir une ligne d’équilibre, en multipliant les partenariats, tout en évitant d’aliéner sa souveraineté.

Une rente durable ? La dépendance croissante à cette « rente militaire » interroge. Peut-on bâtir un modèle de développement durable et souverain sur la location de portions de territoire national à des puissances étrangères ? Quelle est la marge de manœuvre réelle de l’État face à ces locataires stratégiques ? Et surtout, comment garantir que ces ressources soient redistribuées de manière équitable à la population ? Tant que la manne militaire ne profite pas concrètement à l’ensemble des citoyens djiboutiens, le risque demeure que ce pacte implicite entre sécurité et prospérité finisse par se fissurer. 

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source: https://lediplomate.media/2025/01/djibouti-un-carrefour-strategique-pour-les-bases-militaires-etrangeres/olivierdauzon/monde/afrique/

 

 


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